La plupart des marketers dans le secteur du digital et des nouvelles technologies confondent tout. « Stratégies marketing », « canaux marketing », « contenus marketing » sont à l’origine des termes très spécifiques en marketing qui ont fini avec le temps par se confondre, dépouillant les professionnels du marketing d’une grille d’analyse claire pour définir et analyser correctement leurs stratégies marketing.
Google Analytics est en partie responsable de cette confusion. Plus globalement, on peut reprocher à cet outil phare de Google d’avoir appauvri le marketing, en focalisant l’attention des marketers uniquement sur les canaux digitaux et sur des métriques réductrices (et parfois perverses). C’est en tous cas le constat que tire Samuel Scott dans un des articles les plus populaires publiés sur Techcrunch en 2016 : How Google Analytics ruined marketing. Cet article, très stimulant, nous a interpellé. Nous avons pensé qu’il pourrait vous intéresser vous aussi. En voici une traduction.
Personne n’a jamais utilisé l’expression « marketing télévisuel »
L’expression de « marketing digital » est employée à tord et à travers. Elle semble aller de soi. Mais a-t-elle un sens clair ? Pas si sûr… Personne n’utilise l’expression « marketing télévisuel » par exemple. Imaginons que nous soyons dans les années 1990. Je cherche à atteindre des personnes qui regardent la série « Friends » à la télévision. Parmi les cinq méthodes traditionnelles de promotion (voir le tableau ci-dessous), j’ai trois stratégies à ma disposition pour ce que je cherche à faire :
- La publicité (Advertising). Exemple : diffuser un spot publicitaire pendant la pause pub d’un épisode.
- Les médias (Publicity). Exemple : convaincre NBC de parler de mon produit dans un épisode.
- Le marketing direct. Exemple : payer un acteur de la série pour qu’il fasse la promotion de mon produit dans le cadre d’une campagne marketing.
Remarquez : il n’est question à aucun moment de « marketing télévisuel » (television marketing). Tout simplement parce que le marketing télévisuel n’est rien et ne veut rien dire. La télévision est un canal marketing, pas une stratégie marketing. Il faut être clair sur les termes. Si je choisis de diffuser une publicité à la télévision, la publicité (au sens générique) est la stratégie, la publicité en tant que telle est le contenu et « télévision » est le canal sur lequel je diffuse la publicité. La stratégie et le message (le contenu) importe plus que le canal.
De la même manière, le « Facebook marketing », le « Social media marketing » ou encore le « content marketing » ne désignent rien, n’ont pas de référent réel. « Facebook », c’est le canal marketing. « Social media », c’est un ensemble de canaux marketing. « Content », c’est la tactique, et non la stratégie. Le « contenu » est produit dans le cadre de la réalisation d’une stratégie (publicité, SEO, média…). Pour mieux comprendre, voici deux exemples.
Découvrez comment mettre en place Google Tag Manager sur son site web en quelques étapes simples.
Je suis un tech marketer. Je crée une vidéo et la diffuse sur Facebook. Quelle est la stratégie, quel est le contenu, quel est le canal ? Voici la réponse :
- La stratégie, c’est la publicité (au sens générique encore une fois).
- Le contenu, c’est la vidéo elle-même.
- Le canal, c’est Facebook.
Deuxième exemple. J’ai produit un article. Mon but est de faire en sorte que cet article apparaisse en haut des résultats de Google :
- La stratégie, ici, c’est le SEO (référencement naturel).
- Le contenu, c’est l’article.
- Le canal, c’est à la fois le blog et Google (plus précisément : les résultats de recherche de Google).
Pourquoi ces distinctions sont importantes ? Les termes que vous employez reflètent les hypothèses qui sous-tendent votre approche marketing. Or, de mauvaises hypothèses mènent à un mauvais marketing au mieux, à du spamming au pire. Le problème, c’est que beaucoup de marketers digitaux ne sont pas familiers de ces distinctions de base. Et, c’est ce que nous allons montrer, Google Analytics est en partie responsable de cette confusion des termes. Mais avant, retour sur les principales méthodes de promotion marketing qui existaient avant que Google Analytics ne fasse sont apparition.
Les méthodes traditionnelles du marketing (avant Google Analytics)
Une campagne marketing implique toujours la création d’un message, l’insertion de ce message dans un contenu et la diffusion de ce contenu sur un canal à destination d’une audience. Traditionnellement (comprendre : avant Google Analytics), il y avait 5 méthodes de promotion : le marketing direct (direct marketing), la publicité, les promotions (soldes, remises…), la vente personnalisée et les médias (traduction approximative de « Publicity »). Chacune de ces méthodes a ses avantages et ses inconvénients. C’est ce que résume le tableau ci-dessous :
Lorsque un marketer réfléchit à sa campagne, il se pose typiquement ce genre de questions (dans l’ordre) :
- Quelle est mon audience cible et quels sont mes objectifs ?
- Quel est le message le plus approprié pour cette audience cible ?
- A la lumière de mes objectifs, quelle stratégie dois-je utiliser pour communiquer mon message (publicité, promotions, marketing direct…) ?
- Quels sont les meilleurs canaux offline et/ou online à utiliser pour atteindre mon audience, en fonction de la stratégie que j’ai choisie ?
- Quelles techniques marketing utiliser pour créer et diffuser mon message en fonction de la réponse donnée aux quatre premières questions ?
- Comment mesurer les résultats ? Quels métriques sont les plus pertinentes en fonction de la stratégie choisie ?
Au risque de se répéter : la stratégie, le message et les techniques marketing comptent plus que le canal choisi. Prenons un exemple pour bien comprendre ce point. Disons que ma stratégie, c’est de faire en sorte qu’un journal écrive un article sur mon produit et diffuse mon message. Ma stratégie = « Médias » (« Publicity » en anglais). Si l’article est publié, il sera disponible en version papier et sur le site internet du journal. Mais il sera aussi diffusé sur les réseaux sociaux et partagé sur certains forums et aggrégateurs d’actualités. Etc. Autrement dit, il y aura plusieurs canaux. Une stratégie n’est donc pas définissable par un canal. On voit bien, par cet exemple, que ça n’a aucun sens de parler de relation presse digitale (« Digital PR »). Le terme juste, c’est tout simplement « Relation presse ». Les bonnes techniques de relation presse sont indépendantes du canal de diffusion. Les bonnes pratiques s’appliquent à des stratégies, pas à des canaux.
Comment Google Analytics a semé la confusion en se focalisant sur les canaux
Selon W3TECHS, Google Analytics est utilisé par 55% de tous les sites web du monde et possède 83% des parts de marché sur le marché des outils d’analyse de trafic. Plus de la moitié des sites web n’utilisent que Google Analytics pour l’analyse de leurs données. Google a profondément transformé le secteur du marketing, mais aussi la manière que les marketers ont de comprendre leur métier. Avec et à cause de Google Analytics, les professionnels du marketing se sont mis à focaliser leur attention non plus sur la stratégie, mais sur le canal. Car Google Analytics est canal-centric.
Dans le marketing traditionnel, toutes les activités et toutes les campagnes étaient basées sur une stratégie. Cette stratégie consistait à choisir et à mixer les méthodes de promotion (Promotion Mix) : publicité, médias, vente personnelle, marketing direct…Google Analytics a remplacé ces termes par de nouveaux, qui font office de nouveaux compartiments d’analyse : direct, organic search, social, refferal, paid search, email et display. C’est ce basculement qui a entraîné un appauvrissement du marketing, dans la mesure où n’importe quelle stratégie peut être exécutée sur n’importe quel canal. Les bonnes pratiques, encore une fois, sont associées à des stratégies, pas aux canaux. Les canaux sont secondaires. Google Analytics au contraire incite, par son fonctionnement, à n’attirer l’attention que sur les canaux.
Prenez encore une fois le terme de « social media marketing ». Cette expression est vague et ne fait référence qu’à des canaux (les réseaux sociaux), et à aucune stratégie déterminée. De fait, le « social media marketing » peut donner lieu à des stratégies très différentes :
- La création de campagnes de promotions avec diffusion de coupons ou de codes sur les réseaux sociaux afin de générer des ventes.
- La création de campagnes de marketing direct, avec diffusion d’un message s’adressant à une audience ciblée à partir de critères spécifiques de nature démographique ou comportementale.
- La diffusion de contenus sur les réseaux sociaux peut aussi servir à attirer l’attention des médias, dans une stratégie « médias ».
- Le social media marketing peut aussi consister à contacter des personnes précises présentes sur ces réseaux dans une optique de ventes personnelles.
Lorsqu’un terme signifie tout, il ne signifie en fait rien. C’est le cas du terme « social media marketing ». Demandez quel est le ROI du social media, c’est comme demander quel est le ROI du téléphone. Cela n’a aucun sens. Les réseaux sociaux ne constituent pas une stratégie, mais un canal parmi d’autres. Les canaux déterminent simplement le format des outils marketing utilisés et le nature du contenu qui est créé, mais n’ont pas d’impact stratégique. Ce sont les actions qui génèrent du ROI, pas les canaux.
C’est la raison pour laquelle lorsque vous cliquez sur le canal « Social », dans Google Analytics, il est très difficile de rattacher les résultats présentés aux stratégies mises en oeuvre. Cela est vrai aussi des autres compartiments utilisés par les logiciels d’analyse web. Le grand reproche que l’on peut faire à Google Analytics et aux autres outils analytics, c’est d’avoir pris les canaux pour des stratégies. Depuis, les gens confondent canaux et stratégies.
Le seul point positif dans tout cela, c’est qu’on sait maintenant quels sont les canaux qui tendent à performer le mieux. Mais le point négatif, c’est que l’on ne sait plus très bien quelles sont les stratégies et les actions qui génèrent les meilleurs résultats.
Google Analytics et le tout online
Il y a d’autres reproches que l’on pourrait adresser à Google Analytics. En particulier, celui-ci : la plateforme a poussé les marketers à se focaliser de plus en plus sur les canaux digitaux, au détriment des canaux offline.
Bien sûr, personne ne le conteste, Google Analytics est un outil très utile. La version basique est gratuite, il n’est donc pas étonnant que la plupart des startups utilisent ce service. Mais l’inconvénient, c’est que Google Analytics ne s’intéresse qu’aux canaux digitaux. Si une personne, par exemple, regarde une publicité à la télévision, aucune information ne remontera dans Google Analytics.
Le problème, c’est que ce biais inhérent à Google Analytics modifie la manière de penser des professionnels du marketing, qui tendent à se focaliser inconsciemment sur les canaux digitaux, les seuls traçables sur GA. Si l’on était cynique, on pourrait penser que c’était justement l’intention de Google, qui a tout intérêt à ce que l’on privilégie Google AdWords à la publicité offline. Et qui, plus généralement, a tout intérêt à ce que l’on passe plus de temps sur internet. Toutefois, privilégiez les canaux digitaux comporte un coût à terme et peut nuire à l’image de marque et à la qualité du marketing. Il n’y a qu’à penser aux techniques abusives de retargeting et de ciblage publicitaire, qui finissent par agacer de plus en plus d’internautes. Les gens supportent de moins en moins la publicité en ligne, contrairement à la publicité offline, qu’ils tolèrent beaucoup plus. C’est un reproche que l’on pourrait adresser aussi aux techniques de marketing automation, qui consistent finalement à envoyer et à renvoyer des emails automatiques dépersonnalisés et peu créatifs. Le tout online et la focalisation sur la publicité en ligne, avec l’utilisation de techniques invasives, tendent à appauvrir le marketing.
Découvrez 8 techniques pour booster la conversion des popups.
La vision biaisée du ROI proposée par Google Analytics
Le direct marketing, qui est la stratégie omniprésente dans le « marketing digital », est sans doute la forme la plus ennuyeuse de marketing. Mais, d’un autre côté, c’est la stratégie qui permet le plus facilement de tracer le ROI direct des campagnes. Prenons un exemple simple :
J’envoie une publicité Facebook (ou un email, peu importe) à 10 000 personnes. Cela me coûte 5000 euros. Le résultat de cette campagne se traduit par 100 nouveaux clients, qui sont sensés avoir un lifetime value de 12 000 euros. Sur Google Analytics, il est très facile de calculer le ROI d’une telle campagne. Lorsque l’on utilise d’autres stratégies marketing, le traçage du ROI est beaucoup plus sinueux.
Prenons, pour le comprendre, un autre exemple. Je fais une conférence, sur le marketing par exemple. Comment mesurer l’impact de cette conférence ? Certaines personnes, au sortir de la conférence, taperont le nom de l’entreprise dans laquelle je travaille sur Google, ou mon nom. Dans Google Analytics, cela apparaîtra dans le compartiment « Organic Search ». D’autres taperont l’adresse de mon entreprise directement dans la barre de leur navigateur. Cela apparaîtra dans le compartiment « Direct ». D’autres visiteront le profil Facebook de l’entreprise et atterriront finalement sur le site. Cela apparaîtra dans le compartiment « Social Media ». Si un des journalistes ayant assisté à la conférence publie un papier sur la conférence et que des lecteurs de l’article cliquent sur le lien dans l’article renvoyant vers le site de l’entreprise, ces visites apparaîtront dans le compartiment « Referral ».
Que retirait de tout ça ? Qu’il est souvent impossible de déterminer dans Google Analytics les résultats d’une action marketing donnée. Le défaut de plateformes comme Google Analytics, c’est qu’elles permettent de tracker les sources de trafic mais pas les causes du trafic. Il est impossible de savoir, pour une source de trafic donnée, quelle est la part du trafic qui est imputable à l’action marketing « Conférence ». La simplicité des métriques de Google Analytics tend à masquer la complexité de l’impact des actions marketing.
Découvrez comment automatiser votre reporting Analytics avec le plugin Google Analytics pour spreadsheet.
Google Analytics pousse à ne s’intéresser qu’à certaines métriques
A tord ou à raison, les startups s’intéressent surtout aux métriques directes (nombre de leads obtenus, nombre de téléchargements, etc.). Cette orientation se reflète dans les « objectifs » et les « évènements » de Google Analytics. Or, il est très hasardeux de ne s’intéresser qu’à ce type de métriques. Car un taux de clic élevé par exemple peut rapporter du trafic, mais nuire à l’image de marque de l’entreprise si le contenu utilisé pour générer des clics est de mauvaise qualité. Le fait de se focaliser sur les métriques Google Analytics incite les entreprises à créer des contenus générateurs de clics plutôt que des contenus de qualité. Là encore, Google Analytics contribue à appauvrir le marketing et à se focaliser sur des approches court-termistes.
Soit dit en passant : le nombre de pages vues – une des métriques les plus populaires de Google Analytics – n’est une métrique pertinente que pour les sites dont le business model repose sur la publicité. Pour les entreprises qui, à l’inverse, cherche à acquérir des clients, le nombre de pages vues n’a pas beaucoup d’intérêt. Les métriques utilisées par Google Analytics influence les comportements des marketers parfois dans le mauvais sens.
Intégrer les canaux online et offline
Un marketing performant est un marketing qui mixe les canaux digitaux et traditionnels, et qui, par conséquent, cesse de se focaliser sur Google Analytics. Voici un exemple de process marketing mixant les différents canaux existants :
Le process peut se résumer de cette manière : segmenter la cible démographique et créer un persona. Définir les 4 P (Produit, Prix, Place, Promotion). Créer une stratégie globale qui assigne un poids à chaque méthode de promotion (Promotion Mix). Choisir un message. Sélectionner les meilleurs canaux online et offline. Utiliser les techniques marketing appropriées pour créer le contenu et le diffuser. Transmettre le message à la cible. Mesurer les résultats.
Surtout, n’ignorez pas les canaux traditionnels et ne surestimez pas l’efficacité des canaux modernes (sous-entendre : digitaux). Il n’y a pas lieu de favoriser telle stratégie marketing, ou tel canaux. Certains experts ou certaines agences valorisent certains canaux, parce que ce sont ceux sur lesquels ils travaillent au quotidien. Pour être un bon marketeur, vous devez toujours garder à l’esprit la pluralité des méthodes. Ce qui suppose de prendre du recul par rapport à Google Analytics et d’utiliser d’autres outils (et pas uniquement des outils d’analyse web). Pour conclure : ne vous posez pas la question « Quel contenu publier sur mon site web pour générer le plus de trafic ? » mais plutôt : « Comment est-ce que je procéderai si Internet n’existait pas ? ». Vous verrez qu’en réfléchissant et répondant à cette question, cela vous aidera même à améliorer votre marketing en ligne !
Si le sujet de Google Analytics vous intéresse, je vous invite fortement à parcourir ces articles :
Laisser un commentaire